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Et la Révolution sauva les manuscrits…

C’est un lieu commun de l’historiographie de la Révolution française que d’évoquer les saccages, les ravages, les viols et les pillages perpétrés par des foules ivres de rage : l’image du sans-culotte profanant et détruisant, la bave aux lèvres, les trésors sacrés de notre patrimoine, est encore reprise aujourd’hui, même par les âmes les mieux intentionnées, sans doute par ignorance ou peut-être par paresse intellectuelle.
Pourtant, à Rouen, par exemple, ce sont les protestants qui ont détruit les statues de la façade de la cathédrale durant les Guerres de religion, au XVIe siècle. À Jumièges, c’est un honorable marchand de pierres qui a fait exploser le chœur de l’abbatiale, en 1802, à l’époque fort policée du Consulat.

Étienne BÉRICOURT, Le saccage d’une ferme pendant la Révolution française, aquarelle sur papier.

Cette thèse du “vandalisme révolutionnaire” a été diffusée par la propagande contre-révolutionnaire dès les premiers temps de la Révolution. Or il se trouve que l’histoire du sauvetage de la bibliothèque du Mont Saint-Michel en 1790 apporte un utile contre-exemple à ce cliché facile.

Rappelons le contexte : la décadence de l’abbaye est, au moment où éclate la Révolution, un processus qui est à l’œuvre depuis au moins trois siècles. Car à partir de la Renaissance, et même avant sans doute, toutes les grandes abbayes déclinent. Au Mont Saint-Michel, les moines mauristes ont tenté au début du XVIIe siècle une restauration du monastère. Mais le recul est général : en 1790, on ne compte sur l’ensemble du royaume que 200 novices. Les monastères sont désertés.

Dans ce contexte, le 2 novembre 1789, sur proposition de Talleyrand (1754-1838), évêque d’Autun, l’Assemblée constituante vota la nationalisation des biens de l’Église. Leur vente devait servir au remboursement de la dette du royaume.

Le pressoir à clergé

En mars 1790, un décret décida le transfert de ces biens aux municipalités. À Avranches, dom Maurice, le prieur du Mont Saint-Michel, avait remis déjà dès le 19 février 1790 un inventaire des biens mobiliers et immobiliers du monastère aux officiers du bailliage : y figurait la liste des 4 630 volumes de la bibliothèque montoise, dont 299 manuscrits. Cet inventaire fut validé au Mont entre le 5 et le 22 mai 1790 et, le 22 décembre 1790, le fonds fut transférée à Avranches et entreposé dans l’orangerie de l’évêché. 

La “Belle Andrine”, ancienne cathédrale d’Avranches, d’après un dessin du XVIIIe siècle, par Jacques Simon, 1943, n° 49 / 100.

On sait, grâce au catalogue dressé en 1795 par le commissaire Pierre-François Pinot Cocherie pour le compte du district d’Avranches qu’il ne restait que 255 manuscrits dans ce fonds, soit une perte de 44 volumes.

Catalogue des livres en dépôt à l’administration du district d’Avranches

La faute à qui ? Eh bien probablement aux Chouans, catholiques et royalistes, qui occupèrent la ville en 1793, et qui étaient mieux à même qu’une populace analphabète de mesurer la valeur de ces reliques d’un passé révolu. Passèrent ensuite, dans la première moitié du XIXe siècle (Consulat, Empire, Restauration, Monarchie de Juillet, soit de 1799 à 1848), des “érudits bibliophiles qui se constituèrent leurs collections personnelles de manuscrits ou d’enluminures médiévales”. Ce qui fait qu’en 1850, le nombre de manuscrits était tombé à 199.
Dit autrement : les “révolutionnaires” ont assuré la sauvegarde du fonds avec les moyens du bord, puis des amateurs éclairés sont venus y “faire leurs courses” dans les décennies suivantes (un phénomène qui s’observe dans les plus grands musées du monde…).

Mais si les voleurs existent, ils demeurent l’exception. À Avranches, des passionnés entreprennent de sauver ce que l’on désigne désormais comme étant une part de notre “patrimoine national”. Une grande bibliothèque publique municipale est créée en 1815. “En 1831, composée d’environ 10 000 volumes, elle est déjà considérée comme l’une des plus importantes de Normandie, tant par le nombre que par la beauté des éditions qu’elle renferme.”


En 1845, la municipalité confie à l’architecte François Cheftel (1800-1892) le projet de la construction d’un nouvel Hôtel de ville. La lecture des plans est éclairante : ce bâtiment a été conçu comme une bibliothèque. Ou plus justement ce bâtiment a été conçu comme un reliquaire destiné à abriter la bibliothèque de la “Cité des livres”.

Entre 1850 et 1856, on installa la bibliothèque au second étage du nouvel Hôtel de ville
dans une salle longue de 18 mètres pour 9 mètres de large et 7 mètres de hauteur.


Les chevaliers de Saint-Michel au Mont : une légende ?

Louis XI portant le collier de l’ordre de Saint-Michel – Portrait attribué à Jacob de Littemont, huile sur toile, 36,5 cm x 22,2 cm, c. 1469.

L’ordre de Saint-Michel est un ordre de chevalerie, fondé à Amboise le 1er août 1469 par Louis XI (1423 – 1461 – 1483), sous le nom d’« Ordre et aimable compagnie de monsieur saint Michel ».
Son siège fut établi à l’abbaye du Mont Saint-Michel et y demeura jusqu’à son transfert en 1557 à la Sainte-Chapelle de Vincennes sous le règne de Henri II (1519 – 1547 – 1559) : soit une période 88 ans.
Son prestige décline ensuite et il est rétrogradé au deuxième rang des ordres royaux en 1578 par Henri III au profit de l’ordre du Saint-Esprit.

Louis XI au milieu de ses chevaliers portants le manteau, le chaperon et le collier de l’ordre. Statuts de l’ordre de Saint-Michel, peinture sur parchemin, vers 1469-1470, enluminure de Jean Fouquet (1420-1481), BnF, département des manuscrits.

Sa signification politique est connue : il s’agit de contrecarrer l’influence de l’ordre de la Toison d’Or fondé par le duc de Bourgogne Philippe le Bon (1430). Selon Philippe Contamine, cette création s’est faite dans la hâte et l’improvisation. Toujours selon lui, et contrairement à ce qu’on peut lire parfois, il est très peu probable qu’un chapitre de l’ordre se soit tenu sous Louis XI.
Pour sa part, Michel Reulos (“Le Mont-Saint Michel et l’ordre de Saint-Michel” in Millénaire monastique du Mont-Saint-Michel, t. III, Culte de saint Michel et pèlerinages au Mont, éd. M. Baudot, Paris, 1971, p. 336) estime qu’ “aucune cérémonie de l’ordre ne paraît avoir été tenue au Mont ; le nom même de salle des chevaliers apparaît à une date imprécise, sur la foi, peut-on penser, d’une indication d’ Hélyot dans son Histoire des ordres militaires.”

Scriptorium, dit aussi Salle des Chevaliers : cette partie de la Merveille est située sous le cloître au au dessus du Cellier

Plan au niveau de la salle de l’Aquilon. Plan retouché et légendé, d’après “Le Mont Saint-Michel” (1910) de Paul Gout (1852-1923).

Il ne reste donc que le souvenir d’une visite-pèlerinage effectuée par Louis XI le 28 août 1470 (venu peut-être afin de s’acquitter d’un vœu fait pour la naissance de son fils, le futur Charles VIII – né le 30 juin 1470 au château d’Amboise) : voir la description qui en est faite sur le site de wikimanche.

à consulter :
Philippe Contamine : Communication sur l’ordre de Saint-Michel au temps de Louis XI et de Charles VIII, 15 décembre 1976, Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France, 1978, pp. 212-238.
https://www.persee.fr/doc/bsnaf_0081-1181_1978_num_1976_1_849

Petite chronologie architecturale

1000 ans d’histoire

par Jean-François Guillou, avec le site http://www.frisechronos.fr

Le labyrinthe de l’archange

Marc Jampolski et son équipe sont venus au Mont une quarantaine de fois, en 2016 et 2017, pour réaliser ce documentaire diffusé sur Arte en 2018. Des historiens, des chercheurs, des archéologues, les guides de l’abbaye du Mont et son administrateur d’alors, Xavier Bailly, sont les acteurs passionnés de ce documentaire aux allures d’enquête.